Petite histoire de famille racontée aux membres de l'Association des boursiers du gouvernement français en visite à Split au mois de juin 2008. " Sur les pas de saint Martin de Tours "

Une famille franco-croate sur les pas de saint Martin


Prologue
Elle et Lui.


Elle, journaliste, diplômée de l`Ecole de journalisme de Paris.
Lui, professeur, diplômé de la premiere promotion de professeurs de français en Croatie, à l'Université de Zagreb (1918-1922).


Nous sommes en 1936.

Elle, après avoir été, entre autres, pour quelque temps secrétaire d'André Gide (1930-1933) est en cette année journaliste de bord sur le paquebot " Campana " en croisière en Méditerranée.
Lui, qui depuis 1922 est professeur de français au lycée de Split, petite ville au glorieux passé sur la côte dalmate en Croatie, devient secrétaire du Cercle Français, foyer de culture française animant les activités de nombreux francophones et francophiles de Split.

Premiere rencontre
A Split, en plein été.

Le " Campana " avec 300 Français fait escale à Split. Événement de haute importance pour la ville. Le tourisme n'est qu'à ses débuts. Les meilleurs francophones sont priés de faire visiter, comme guides, la ville aux hôtes français. Parmi eux Lui, et dans son groupe de touristes, Elle. Une fois la visite du noyau historique, le Palais de l'Empereur Dioclétien, terminée, Elle s'approche de Lui en lui proposant de l'interviewer pour son journal de bord dont Elle est rédactrice et qui, imprimé la nuit, le lendemain au petit déjeuner est distribué aux passagers. Lui, aimablement lui donne rendez-vous au café de la ville en début d'après-midi pour lui donner plus de détails sur l'histoire de la ville et de ses habitants.


Le hasard.

Un après-midi de juillet. Il fait chaud. Elle s'assied à une table au café situé sur la promenade du bord de mer, en face du port, au pied de la façade méridionale du Palais de Dioclétien. Le temps passe. Rien. Estimant qu'il s'agit d'un rendez-vous pris à la légere, Elle se prépare à partir. Juste à ce moment, devant le café, passe le chef mécanicien du paquebot et voit la journaliste, seule au point de se lever.
-" Que faites-vous seule dans ce café ? Vous attendiez quelqu'un ? "
- " Oui, notre guide de ce matin, un élégant professeur que je voulais interroger sur certains sujets qui pourraient intéresser nos passagers, mais vous voyez j'attends déjà depuis une demi-heure. Il a dû oublier, en bon méditerranéen, pas très sérieux ! "
- " Vous êtes sure qu'il vous a bien donné rendez-vous dans ce café-ci ?"
- " Non, il m'a juste dit de venir au café de la ville, sans autres précisions et qu'il m'y attendrait à 5 heure. J'ai cru comprendre que cela devait être ce café, je n'en vois pas d'autrest aussi bien placé pour un café renommé de la ville. "
- " Détrompez-vous, je viens de traverser une belle place au centre ville, je crois qu'ils l'appellent la Piazza, et là il y un café qui me semble être aussi à la mode. "
- " C'est possible, de toute façon je passerai par cette place avant de rejoindre le bateau. On ne sait jamais. Merci, et au revoir à bord "

En ce début d'après-midi de juillet au même instant au café Troccoli, Lui, après avoir bu son citron pressé, s'apprête pour partir, son chapeau panama à la main. "Une Parisienne à qui je donne rendez-vous en pleine après-mid, pour lui faire plaisir, au lieu de faire ma sieste, et qui me pose un lapin. Je pouvais m'en douter. Ces Françaises, superficielles ! " se disait-il, et furieux se leva pour partir.
Sur la Piazza deux personnes, Elle et Lui. Un Croate, dalmate et une Française, Parisienne, et... saint Martin ? Non, pas encore !

- " Monsieur, monsieur, ne partez pas ! C'est moi ! "
- " Ah vous voilà, il était temps ! Mais ou étiez-vous jusqu'à présent ? "
- " Je vous attendais au café sur la promenade, et puisque vous n'aviez pas été très précis pour ce qui regardait l'endroit de notre rendez-vous, j'ai supposé que cela devait être le café au bord de la mer, sur le quai et qui est le mieux placé pour une rencontre, parce qu'il fait moins chaud qu'en pleine ville"
- " Allons donc, tout le monde sait que c'est au café Troccoli que les gens du monde se donnent rendez-vous ! Bon, ce n'est pas grave, vous êtes si charmante. Que voulez-vous savoir ? "

Comment se revoir.

L'entretient se prolongea. Le couché de soleil annonçait la fin de cette brève rencontre. Et pourtant!
- " Je devrais prochainement obtenir une bourse d'études à Paris pour suivre des cours de littérature française a la Sorbonne. Cela pourrait etre, peut-être, l'occasion de nous revoir ? "
- " Pourquoi pas! "

Et Ils échangerent leurs adresses.

Deuxieme rencontre
A Paris dans un café du Quartier Latin

Elle et Lui et... saint Martin, enfin.
Lui: " Ma bourse touche à sa fin. J'en ai bien profité, outre à la Sorbonne, j'ai suivi des cours au College de France. Maintenant je retourne à Split. Et vous, quelles sont vos intentions ? "
Elle : " Vous savez, en 1934 ,j'ai publié un petit ouvrage sur l'église Saint- Martin et L'Evêché de Bethléem de Clamecy Je deviens " une spécialiste " de saint Martin car j'ai fais des recherches sur ce sujet. Saint Martin avait traversé la Croatie du Nord en quittant sa Pannonie natale pour aller évangéliser la Gaule, et par la suite son culte s'est répandu aussi en Croatie du Sud lorsque les bénédictins, accompagnant les armées franques de Charlemagne au IXe siecle, s'y sont installés. Le long de la côte Dalmate il y a plusieurs petites églises et chapelles qui lui sont dédiées. J'envisage la possibilité de faire une série de conférences sur saint Martin dans les villes de la côte est de l'Adriatique. Qu'en pensez-vous ? "

Epilogue

A Split eut lieu une troisième rencontre.
Cette fois-ci elle ne fut pas brève, mais très,...très longue. Ils se marièrent en 1939 et eurent deux fils. Moi* et mon frère Daniel*. Lui, mon père Milivoj* et Elle, ma mère Madeleine* vécurent plus de quarante ans heureux à Split. Et nous deux, nous vivons imprégnés de deux cultures, croate et française, partageant ce qu'il y a de plus beaux entre la France et la Croatie. Merci aussi à saint Martin de Tours!

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Aujourd'hui encore en me promenant dans le noyau historique de Split, je jette toujours un coup d'oil sur la toute petite chapelle de Saint Martin (dont le chancel est un des chef-d'oeuvres de l'art vieux-croate) attribuée aux bons soins des soeurs dominicaines et nichée dans un passage du tour de garde de la Porte d'Or du Palais de l'empereur Dioclétien.

Fait par M. Gérard Denegri

Madeleine Epron Denegri, (1902 - 1989),
traductrice, lectrice de français à l'Académie pédagogique de Split,
" Blason d'Or " de la Ville de Split
Milivoj Denegri, (1896- 1983),
professeur titulaire de la chaire de français a l'Académie pédagogique de Split,
Commandeur des Palmes Académiques
Daniel Denegri, (1940)
docteur ès Sciences, membre correspondant de l'Académie des Sciences et des Arts de Croatie.
Lauréat du Prix Joliot Curie,
" Blason d'Or " de la Ville de Split
Docteur honoris causa de l'Université de Split
Gérard Denegri, (1946)
ingénieur en électronique, Président de l'Alliance Française de Split, chevalier des Palmes Académiques, de l'Ordre National du Mérite et de la Légion d'Honneur.